En tant que cabinet de conseil en stratégie et innovation auprès de grands décideurs corporate, nous échangeons avec nos clients depuis le début de la crise économique liée au Covid19 sur les feuilles de route de redémarrage des COMEX.
Dans une série de 5 billets successifs nous souhaitons partager avec vous ici notre vision des clés du redémarrage réussi issue de l’analyse de ces feuilles de route stratégiques.
- Savoir d’où l’on part
- Penser le redémarrage au-delà des frontières de son entreprise
- Ne pas considérer que tout va changer ou que tout sera comme avant
- Prendre en compte les impacts psychologiques du confinement
- Intégrer un nouveau référentiel de prise de décision
Nous vous invitons également à partager cette analyse lors d’un webinar qui se tiendra le 5 mai prochain de 10h à 11h.
Chapitre 5: Intégrer un nouveau référentiel de prise de décision
Le monde post-Covid19 est un monde comportant une nouvelle dimension d’incertitude que nos entreprises et décideurs économiques n’avaient pas jusqu’à présent dans leurs référentiels de prise de décision.
Les préoccupations actuelles de nos entreprises sont multiples, mais elles sont principalement tournées vers l’activité économique : la capacité à générer du Chiffre d’Affaires, l’objectif de tenir un budget, l’optimisation de ses coûts, la pression concurrentielle, les nouveaux services et produits à imaginer… La part d’incertitude existe, mais l’expérience, les provisions comptables, la structure de l’entreprise sont autant d’éléments qui aident nos dirigeants à prévoir l’incertain, à chercher à l’anticiper, à se rassurer.
Cependant, nous n’avons jamais eu à nous demander comme aujourd’hui si les contraintes sur les libertés individuelles permettaient à leurs collaborateurs de venir travailler sur leur lieu de travail et à nos clients de venir consommer.
La gestion de la crise révèle une certaine acceptation de l’humanité sur le fait que sauver une vie humaine méritait de sacrifier « quoiqu’il en coûte » dans le temps présent nos organisations sociales et économiques, malgré les conséquences futures sur d’autres vies humaines (conséquences psychologiques, risques de famine etc.), dont certaines analyses cherchent à faire le bilan mathématique. Ce n’est plus une logique de principe de précaution qui est à l’œuvre mais la croyance en un interventionnisme scientifique dans lequel on place tous nos espoirs d’immortalité. Et ce paradigme nous place dans une véritable nouvelle ère. Le confinement n’est pas qu’un épisode isolé, mais le prélude de futures crises que l’humanité combattra avec des mesures similaires à celle d’aujourd’hui. Dans le futur, d’autres situations de crise sanitaire locales ou mondiales similaires vont de nouveau avoir lieu. La communication massive relayée par les réseaux sociaux amplifie ces phénomènes et impose une pression aux décisionnaires politiques, contraints de prendre des décisions aussi radicales que l’arrêt des flux économiques planétaires. Enfin, la croissance démographique et la densification des territoires ne font qu’accentuer les risques.
La prise en compte de nouveaux risques de manière structurelle est donc inévitable face à la crainte du surgissement de crises sanitaires futures. Quels sont ces nouveaux risques à prendre en compte? Comment adopter un nouveau référentiel de prise de décision? Quelles décisions prendre dès le redémarrage pour sortir gagnant de cette transformation?
Un triptyque de risques : économiques, libertés individuelles, sanitaires
Dans ce contexte nouveau, couplant la crainte du surgissement de nouvelles crises sanitaires et l’anticipation d’un traitement de ces crises par une hyper-escalade de mesures radicales pour y faire face, les entreprises doivent changer leur référentiel de prise de décision. Aujourd’hui, si leur référentiel relève uniquement d’une appréciation bénéfice – risque, demain il devra reposer sur un nouveau triptyque : l’analyse des risques économiques, l’analyse des risques sur les libertés individuelles, l’analyse des risques sanitaires.
Ce nouveau référentiel va structurer et conditionner l’exécutabilité de tous nos plans d’actions, à commencer par ceux du redémarrage économique post-crise actuelle du Covid19.
A titre d’exemple, ce triptyque de risques est particulièrement visible dans les plans de reprise des entreprises françaises en mai. Le déconfinement avait été annoncé pour le 11 mai, mais la réalité des décisions gouvernementales invite les entreprises à maintenir le télétravail et les dispositifs de chômage partiel jusqu’à début juin. C’est donc le risque sanitaire qui est à prendre en compte en premier lieu dans ce cas (réorganiser l’accès au lieu de travail, limiter les flux de collaborateurs), avant le risque sur les libertés individuelles des collaborateurs (encouragés à télétravailler et à limiter leurs déplacements), ces deux risques s’imposant au risque économique pour ces entreprises, loin encore d’évoluer dans un environnement propice à une véritable reprise économique, finalement hypothétiquement reléguée en juin.
Un nouveau référentiel pour l’organisation du travail et la démographie des entreprises
Ce nouveau triptyque de risques a des conséquences sur l’organisation du travail dans les entreprises et leur démographie. Les repères actuels tant sur l’architecture des locaux, les implantations géographiques, l’intégration des bassins économiques dans les plans d’urbanisme des territoires, sont profondément bouleversés par la nouvelle grille d’analyse.
A l’échelle de l’aménagement intérieur des bureaux, la tendance de ces dernières années est au développement des open spaces voire des living offices, qui ont pour conséquences de réduire la distance physique entre les postes de travail et ne pas assigner de postes fixes aux collaborateurs. Selon notre triptyque, du point de vue risque sanitaire ces modes d’organisation de l’espace de travail ne sont plus applicables. Les distances doivent être augmentées entre les postes et soit des postes fixes doivent être réassignés soit les postes de travail doivent être désinfectés entre l’utilisation par deux personnes distinctes. Cela augmente mécaniquement le coût économique de chaque poste de travail et comme la surface des bureaux n’est pas extensible si rapidement, le télétravail devra en parallèle être augmenté de manière imposée, ce qui a un impact sur le troisième volet de notre triptyque concernant les libertés individuelles des collaborateurs.
A l’échelle des locaux d’entreprise, la tendance de ces dernières années a été la construction de grands centres d’affaires concentrés, avec des tours de dizaines d’étages accessibles par des batteries d’ascenseurs pouvant contenir parfois jusqu’à 25 personnes. Du point de vue risque sanitaire, les distances barrières limitent le nombre de personnes ayant un accès simultané aux ascenseurs. Impossible d’imaginer des durées d’attente de plusieurs heures pour que les collaborateurs accèdent à leur poste de travail. Prendre les escaliers massivement est difficilement envisageable pour des questions de sécurité. Du point de vue économique, l’impact sur la productivité est trop fort pour ne pas le prendre en compte et prioriser une limitation des employés autorisés à se rendre au bureau sur une même plage horaire. Là encore, le risque sanitaire a un impact direct sur les aspects économiques et libertés individuelles à prendre en compte dans ses décisions. Au-delà du rythme de redémarrage de l’activité dans ces tours, sont-elles des espaces de travail viables à long terme? Elle ne sont pas, à l’heure actuelle, adaptées et facilement adaptables à des alertes sanitaires plus fréquentes.
Ce qui est vrai à l’échelle d’un immeuble l’est aussi à l’échelle d’une ville. La limitation de l’accès aux transports en commun pose la même problématique que les ascenseurs d’une tour. La productivité d’un employé qui mettrait 2h à accéder à son travail plutôt que 45min est fortement impactée. En Ile-de-France, malgré le maintien d’un télétravail si possible en mai, le taux d’engorgement et de saturation dus aux restrictions d’accès dans les transports au redémarrage va être considérable. Alors que les usagers se sont habitués à être serrés dans les rames de métro tous les matins, sont-ils prêts à se remettre dans ces situations même quand la crise sera passée? Les modèles de distance entre le domicile et le lieu de travail, déjà un sujet majeur du débat lié aux gilets jaunes en 2018 – 2019 en France, devront nécessairement être revus à l’aune de ce triptyque. A court terme, le prix du m² en banlieue des métropoles va s’effondrer, prix du m² de bureau. A moyen et long terme, le travail se réorganisera vers les centres péri-urbains, allant à l’encontre des derniers modèles d’hyper concentration dans des hypercentres urbains. En effet, quel est l’intérêt de travailler au centre de Paris dans des bureaux où on ne peut pas exploiter l’entièreté de l’espace de travail? Le coût économique en serait trop important pour les entreprises, et les collaborateurs auront plus de difficultés à s’y rendre via des transports en commun. La liberté de choisir son lieu de vie et son lieu de travail en fonction pour les individus en sera donc également bien écornée.
Ainsi, au motif du triptyque des risques et de la crainte de voir surgir des crises Covid20, 21 et 22 futures, le risque sanitaire impose son rythme sur les libertés individuelles et les intérêts économiques. Cela implique de repenser complétement la manière dont on travaille, l’organisation et l’agencement intérieur du lieu physique travail, les moyens d’accès au travail, l’architecture des bâtiments, et les modèles d’urbanismes de centralisation et décentralisation.
Engagement managérial et capacité décideurs à exécuter les plans définis
Si, dès aujourd’hui, dans les modes de planification, de définition budgétaire, d’écriture des plans stratégiques, il faut systématiquement prendre en compte le risque du surgissement d’une crise sanitaire similaire, cela interroge sur la valeur de l’engagement et de la responsabilité individuelle. En effet, dans chaque proposition qu’il fait, le dirigeant, le manager, le responsable politique peut toujours dire « je m’engage là-dessus sous réserve que tel ou tel alerte sanitaire n’apparaisse pas ». La prise de risque individuelle et l’engagement personnel du décideur sans condition sur la réussite d’un projet en seront diminués.
Dans ce contexte, peut-on anticiper une potentielle perte de confiance des marchés financiers ? Si on se met à se dire que les dirigeants s’engagent sur des actions « sauf si », alors les marchés vont revoir complémentèrent leurs modèles d’appréciation des risques, les banques augmenter une nouvelle fois après Bâle III leurs obligations prudentielles, les modèles de valorisation vont intégrer de nouveaux paramètres… La capacité d’investissement et de levée de fonds des marchés et institutions financières est essentielle pour soutenir un redémarrage non pas cantonné à des programmes de réduction de coûts mais en mesure d’engager des programmes de relance et d’innovation. Leur réactivité à s’adapter dans un sens favorable au système financier global permettant de financer les entreprises pourrait être la clé pour échapper à une crise financière qui ne serait pas due à un manque de liquidité mais à un changement de modèle.
2 raisons d’y croire : la capacité du cerveau humain à retenir le positif et un redémarrage comme un moyen de rompre avec l’immobilisme
L’apparition de ce nouveau triptyque de risques peut nous faire peur et nous désorienter. Cependant, nous aimons analyser les situations avec l’optimisme propre à l’innovateur.
Deux raisons majeures nous poussent à croire en un redémarrage réussi dans un système économique et un cadre sociétal capables de se réinventer :
- Du point de vue individuel, nous croyons à la capacité cerveau humain à ne retenir que le positif si on lui communique les choses sous le bon angle. Les individus expriment un certain « ras-le-bol » face à la saturation d’informations à caractère anxiogène, d’autant plus s’ils sont privés des divertissements habituels (actualité sportive, sorties cinés, événementiel, voire même débats sociétaux et politiques…). En tournant le discours vers les opportunités de réinventer un monde meilleur, nous pensons qu’il est possible de surmonter les stress post-traumatiques (cf. article 4) et de retenir de cette crise, dans des dizaines d’années, au-delà des drames humains, qu’elle a également modifié pour le mieux l’humanité. Les interrogations personnelles des individus en tant qu’agents économiques, à la fois sur leur manière de consommer, leur manière de travailler, leur manière de manager, permettent d’orchestrer ces transformations. Par exemple, les managers d’entreprises devront savoir communiquer différemment dans un contexte d’augmentation d’équipes virtuelles, de donner davantage de sens à leurs projets, de gagner en agilité et réactivité pour faire face aux imprévus.
- Du point de vue collectif, l’obligation de changer de référentiel de prise de décision représente une opportunité extraordinaire de changer le cours de l’histoire économique. A court-terme, plutôt que la tentation de ne travailler qu’à l’optimisation et la réduction des coûts pour rassurer ses actionnaires et ses investisseurs, nous sommes convaincus que cette période est le moment idoine pour les entreprises d’agir de manière contre-cyclique en investissant dans l’innovation de rupture, en levant de la dette, nouant des partenariats sur des modèles nouveaux (success fees, prises de participations…), en réalisant des opérations d’acquisitions tant que l’argent de la relance économique est encore disponible. Cela serait dommage que cet argent ne soit consacré qu’à des programmes de réduction de coût et au retour d’un ancien modèle dont un virus de 125 nanomètres de diamètre a suffi à gripper le fonctionnement de l’intégralité de la planète. Pour une entreprise, ne faire que réduire ses coûts et chercher à reconstruire un modèle passé, c’est risquer de mourir d’autre chose que de la crise actuelle. Investir dans des modèles innovants, en rupture, c’est participer à ce monde nouveau et apprendre à en tirer profit. Une crise crée toujours des opportunités de nouvelles innovations qui deviennent rapidement indispensables au quotidien. Il suffit de revenir sur le succès d’entreprises créées sur les cendres de la crise financière de 2008, comme Airbnb (2008), Groupon (2008), Slack (2009), Uber (2009), Whatsapp (2009), Instagram (2010), Deepmind (2010), Zoom (2011), ou encore des innovations comme le Bitcoin (2009). Cette crise est donc une formidable opportunité pour les entreprises de rompre avec l’immobilisme et de s’engager sur la voie de l’innovation de rupture.
Le chapitre 2 de toutes les entreprises commence aujourd’hui
Comment s’engager dans ce redémarrage selon ce nouveau référentiel, en se donnant toute les chances de réussir l’adoption de business models en rupture, propres à réengager son entreprise sur le chemin de la croissance?
Pour réussir ce virage , rédiger la première page du chapitre 2 de toutes les entreprises, nous défendons une vision en 3 temps :
- Temps 1: le redémarrage. Les entreprises vont progressivement rouvrir leurs locaux en adoptant les premières mesures adaptatives au nouveau référentiel et notamment au risque sanitaire (comme sur l’aménagement des locaux, le télétravail…), mais elles vont d’ores et déjà bâtir des plans stratégiques sur le redémarrage à plus long terme selon ce nouveau référentiel (comment imaginer mes locaux de demain ? comment réorganiser mes lignes managériales ? quelles innovations puis-je lancer pour répondre aux nouveaux besoins ?). Il s’agit d’un temps amorçage avec notre nouveau référentiel.
- Temps 2 : le retour à l’équilibre. Un seul mot d’ordre : l’efficacité d’exécution. Une fois les actions du redémarrage bien définies, ce temps est un temps d’excellence opérationnelle pour les mettre en œuvre. De nombreuses actions doivent être engagées, comme principalement :
- La simplification des indicateurs de pilotage
- L’efficacité dans les prises de décision et d’une gouvernance adaptée (très haute fréquence des points de contrôle d’exécution : quotidiens, hebdomadaires, mensuels, trimestriels)
- La responsabilisation individuelle de la chaîne managériale
- Une nouvelle donne inspirationnelle pour mobiliser les équipes (cf. notre clé 4)
- La poursuite de la digitalisation des processus pour faciliter le travail à distance
- L’adaptation RH sur la formation des équipes et les processus d’évaluations des salariés
- Temps 3 : la réduction des coûts ou l’invention d’un nouvel outil de production. En fonction du programme de transformation décidé par votre entreprise, et de son engagement dans des innovations de rupture aussi bien dans son outil de production que dans son service ou produit final lancé sur le marché, ce 3ème temps correspond à une stabilisation du nouveau modèle opérationnel mis en place.
Pour réussir ces trois temps vers un chapitre 2 réussi, cela implique une grande rigueur et efficacité dans la prise de décision et de l’excellence dans l’exécution (aucun écart avec ce qui est attendu). Dans notre contexte incertain, être lucide et convaincu de ce que l’on veut construire et s’y tenir avec grande rigueur est essentiel pour exécuter cette transformation.
Nous sommes tous les acteurs de ces nouvelles pages à construire. Réussissons ensemble ce virage historique !
Suivez notre actualité et rejoignez nous le 5 mai 2020 de 10h à 11h pour le webinar dédié à ce sujet!