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Le Big data propulse le management vers une nouvelle ère

Trois ruptures dans les organisations pour maximiser la valeur des flux de données

 

Une étude de Varonis révélait en 2012 que deux tiers des entreprises considéraient le Big data comme une priorité stratégique, même si seulement 41% estimaient en avoir une définition claire.

Cinq ans plus tard, maximiser la valeur des flux de donnés s’inscrit à l’agenda des plans d’entreprise. « Mieux utiliser la valeur des données au service des clients » est l’un des cinq piliers de BNP Paribas 2020 présenté début février par Jean-Laurent Bonnafé, qui annonce « une banque plus prédictive » pour la seconde institution financière européenne.

Avec 50% des entreprises qui déclarent avoir investi dans le Big data en 2016, contre 7% il y a quatre ans (étude IDC), la révolution des données est en marche. Et les promesses des quelques 200 exposants du Salon Big Data Paris 2017 donne un aperçu de l’ampleur du phénomène : « Réussir l’industrialisation du Big data », « Passer maître dans l’art d’analyser et visualiser vos données », « L’analytique sous Stéroïdes », « Lutte contre le cancer et lutte contre le blanchiment… une même approche Big data ».

Partie immergée de l’iceberg, la promesse des nouveaux business models de la donnée a toutefois du mal à masquer un profond bouleversement de nos modes de vie et de pensées.

Basculer de la priorité stratégique à la prise de conscience managériale

“Big data  A Revolution That Will Transform How We Live, Work and Think” – Viktor Mayer-Schönberger, Kenneth Cukier

Le Big data modifie notre manière de concevoir le monde, d’interagir, de communiquer et notre quotidien dans son ensemble. L’utilisation de la donnée permet de guider nos achats, nos trajets, nos réflexions, élargissant de façon exponentielle l’univers des possibles.

Le slogan « Connecting people » positionnait Nokia en 1992 comme une marque innovante, la première entreprise à faire le pari de la téléphonie mobile pour tous. Un quart de siècle plus tard, il  n’est plus uniquement question de téléphoner, n’importe où, à des contacts de son carnet d’adresse. La question est de savoir à qui se connecter, dans la sphère professionnelle (avec Shapr par exemple) ou dans des contextes plus intimes (Tinder). Les données participent à établir un rapport de confiance entre les individus.

Dès lors, face à un doublement du volume mondial des données tous les quatorze mois, comment exploiter le potentiel du Big data dont les impacts touchent jusqu’à notre manière de nous comporter dans la société ?

Modifiant nos modes de prise de décision et d’interaction, ce questionnement renvoie à une profonde remise en cause des modèles managériaux, sans laquelle toute exploitation du Big data trouverait rapidement ses limites.

Quels impacts du Big data sur les modèles managériaux et comment les transformer pour maximiser la valeur des flux de données ?

Trois exemples pour illustrer les ruptures du Big data sur les modèles managériaux
Rupture n°1 : le « quoi » l’emporte sur le « pourquoi »

Depuis Platon, la philosophie nous enseigne que tout phénomène a une cause, et dès 3 ans l’enfant entre dans « l’âge des pourquoi » correspondant à sa prise de conscience du monde qui l’entoure. Nos modes de réflexions sont organisés autour des causes. Dans un souci de maîtriser l’ensemble des facteurs qui justifieront sa décision, le manager est en quête constante des causes.

Avec le Big data, l’obsession du pourquoi laisse la place à l’émergence du quoi.

Ce changement de paradigme s’illustre avec l’exemple d’Oren Etzioni qui a fondé Farecast.

En 2003, Oren Etzioni réserve un billet d’avion pour le mariage de son frère, pour un vol Seattle – Los Angeles. Précautionneux, il décide de réserver son billet au plus tôt, pour disposer du meilleur prix. A bord de l’avion, il échange avec ses voisins et constate avec surprise qu’ils ont payé leur billet à un prix plus intéressant ! De retour sur la terre ferme, il analyse 12 000 observations de prix sur une période de 41 jours pour identifier à quel moment acheter un billet d’avion à son meilleur prix. Il enrichit progressivement son modèle en s’adossant à des bases de données de réservations de billets, permettant d’exploiter 200 milliards de prix de billets d’avion. Partant du constat que les prix sont fixés par un nombre de variables conséquente, il a créé un modèle qui se concentre sur le « Quoi ? » et ignore le « Pourquoi ? ». En 2012, son modèle avait un taux de réussite  de 75% et avait fait économiser en moyenne 50 dollars par billet.

Permettant de faire abstraction des causes pour se concentrer sur le phénomène le Big data remet en question les référentiels managériaux.Si on ne s’intéresse plus à la cause mais uniquement au phénomène, comment justifier les arbitrages et les décisions ? Quelle confiance mettre en place pour que le résultat puisse s’affranchir de l’analyse des causes ?

Plus prosaïquement les nouvelles capacités offertes par le Big Data ouvrent de nouveaux horizons au manager en termes de prise de décision mais soulève aussi des risques. A trop se couper des causes, les décisions de gestion risquent de ne pas être conformes avec l’éthique ou de télescoper des chartes de fonctionnement de l’entreprise.

Rupture n°2 : le désordre est plus fort que l’exactitude

Dans les années 80, des chercheurs d’IBM ont lancé un projet de traducteur utilisant les probabilités statistiques. Le projet Candide vit le jour 10 ans plus tard, en s’appuyant sur une base de 3 millions de phrases traduites publiées par le Parlement canadien en Français et en Anglais. Guidé par un souci de qualité des résultats proposés, l’ambition du projet évolua de la création d’un traducteur à la résolution d’un problème mathématique très complexe… et IBM abandonna le projet.

En 2006, en lançant son projet de traducteur tout aussi ambitieux, Google révèle au monde sa nouvelle promesse : “organize the world’s information and make it universally accessible and useful”. Pour commencer, Google s’appuya sur toutes les traductions disponibles sur Internet, dans une logique d’apprentissage de son traducteur. 6 ans plus tard, Google Traduction couvre plus de 60 langues.

Le secret de Google : utiliser des bases de données des dizaines de milliers de fois supérieurs à ceux d’IBM. Au lieu de rechercher la perfection des données, Google s’appuie sur une masse de données gigantesque.

Google, grâce au Big data, exploite le désordre.

Cette nouvelle exploitation du désordre implique une révolution pour le manager qui souhaite tout contrôler. Exploiter le désordre c’est accepter de ne pas tout maîtriser, de mettre de côté un management qui s’appuie sur la précision d’un nombre fini de donnée, pour privilégier un management plus intuitif.

Le manager doit aussi être conscient de l’intérêt des données en libre circulation, par-delà les organisations et les frontières de l’entreprise. Il n’est plus l’épicentre de l’information, il devient un alchimiste de la donnée qui circule, capable d’exploiter le désordre et de diriger dans ces nouvelles conditions.

Rupture n°3 : les grands volumes rendent obsolètes la logique d’échantillonnage

En 2009, le monde fait face au virus H1N1. Aux Etats-Unis, the Center of Disease Control (CDC) demande à un panel de médecins de l’informer des nouveaux cas de grippes, permettant ainsi de disposer d’une vue sur l’épidémie avec undélai d’une à deux semaines.

Dans le même temps, Google publie une étude qui explique comment l’étendue de la grippe peut être analysée en temps réel. Google a analysé les 50 millions de mots les plus communément recherchés et les a comparés avec les données du CDC sur la période 2003-2008.

Fondé sur la corrélation, le modèle prédictif conçu par Google ne s’intéresse pas aux informations sur la grippe, il s’intéresse à la fréquence de certaines requêtes, mises en perspective avec les statistiques de la grippe.

Le modèle de Google ne repose pas sur un échantillon de médecins, disséminés aux quatre coins des Etats-Unis. Il s’appuie sur les grands volumes permis par le Big data, et sur de nouvelles capacités d’exploiter des informations pour créer des renseignements.

Avec le Big data, les frontières sont flottantes, et l’univers des possibles infini. S’appuyer sur des échantillons est rassurant pour le manager, lui permet de définir un cadre d’exploration stable et connu. Il doit à présent relever de nouveaux défis : co-construire avec ses équipes des cadres aux contours mouvants, définir les capteurs à déployer, et identifier les nouvelles compétences nécessaires à l’exploitation des flux de données.

La révolution du Big data passera par des communautés de travail plus inspirées

En modifiant notre manière de penser et de prendre des décisions, le Big data implique une modification en profondeur des référentiels managériaux.

Il ne s’agit plus de rechercher l’exactitude, de maîtriser l’ensemble des chaînes causales, mais de décrypter des tendances, et d’accepter de ne pas tout maîtriser. Alors que sous perfusion continue de données les décideurs espèrent des modèles de pilotage infiniment précis, et que le Big data laisse entrevoir la possibilité d’exaucer ces vœux, l’apport majeur de l’exploitation des données se trouve dans de nouveaux modèles managériaux à inventer.

Dans un monde où le manager est submergé par les flux de données, le faisant s’écarter de modes de prise de décision purement rationnels, cette révolution du Big data appelle des modes de management plus intuitifs. Le Big data fait évoluer notre vision du monde, et renvoie à l’émergence d’un nouveau modèle organisationnel annoncé par Frédéric Laloux dans « Reiventing organizations ». Un nouveau modèle dans lequel le manager se fie à ses trois cerveaux : celui logé dans le crâne mais également ceux situés dans le cœur et le cerveau abdominal… servant ainsi des communautés de travail plus inspirées.

Cédric Legros, Manager chez Bengs

 

Le « Global Agenda Council on the Future of Software and Society » du World Economic Forum a réalisé en 2015 une enquête pour identifier à quelle échéance les technologies de rupture de la quatrième révolution industrielle auront atteint leur point de bascule. Parmi ces 21 mutations technologiques figure le Big data pour l’aide à la prise de décision. Le point de bascule est estimé pour 2025, lorsqu’un gouvernement aura remplacé le recensement de la population par des sources de Big data.

Conscient des enjeux porté par le Big data, les membres du Bengs Lab ont choisi pour thème de la cinquième saison : « A quelle révolution managériale faire appel pour maximiser la valeur des flux de données ? »  Pour inventer en cycle court, avant le point de bascule, de nouveaux modèles managériaux.