2.2 Augmented Worker, une des réponses aux enjeux de demain
Evolution de la pyramide des âges
Toutes les études sont unanimes quant au vieillissement de notre population. La majorité des plus de 85 ans préfèrent leur maintien à domicile malgré une perte d’autonomie aux autres options (cohabitation avec un proche, maison de retraite, aide à domicile, …). Les raisons de cette tendance sont multiples. Parmi elles figurent l’amélioration de la situation économique des personnes âgées et l’omniprésence des technologies favorisant l’indépendance des générations.
Au Japon, 28% de la population est âgée de 65 ans ou plus. Cette situation a entrainé une pénurie de main d’œuvre, notamment dans les secteurs du travail manuel, de la construction, de la fabrication et de l’agriculture. Pour pallier ce problème, des solutions Augmented Worker ont déjà vu le jour afin d’aider les séniors à réaliser des activités et les maintenir ainsi plus longtemps en capacité de produire. Ils ont notamment recours à des exosquelettes pour les aider à effectuer les tâches physiques de leur travail et rester ainsi en activité le plus longtemps possible.
En conséquence de ce phénomène de vieillissement, on constate souvent dans les entreprises japonaises la présence simultanée de quatre générations et l’apparition de nouvelles formes de salariat (travail des séniors, travailleurs non-salariés). Deux challenges majeurs se posent alors : gérer la transmission du savoir et gérer la place laissée à la technologie dans notre travail quotidien.
Transformation des modes de travail
Le concept du métier unique exercé toute une vie est en train de s’essouffler. D’après l’étude menée par l’Ifop pour Monster en 2017, auprès d’un échantillon de 1000 actifs, 64% pensent changer 3 fois de métier au cours de leur vie professionnelle. Cette ambition est révélatrice d’une nouvelle tendance : la mobilité professionnelle.
Pour répondre à ce nouveau phénomène, la formation et la prise de poste doivent s’accélérer. Elle doit non seulement faire partie intégrante de la culture d’entreprise mais elle doit également se faire de manière rapide et ludique. La technologie peut dans de nombreux cas raccourcir les cycles de formations soit en gagnant en efficacité grâce par exemple à l’utilisation de casques de réalité virtuelle. Ou en venant assister le collaborateur au plus proche de son activité. L’exemple du chauffeur de VTC qui n’a plus à connaitre le nom des rues en est une parfaite illustration.
Modifications des modes de consommation
L’impatience est une caractéristique importante du consommateur actuel. Il veut tout et tout de suite. Pour corroborer cette tendance, une étude publiée par eMarketer, réalisée auprès de plus de 1 500 consommateurs américains a révélé une augmentation de 59% du nombre d’acheteurs s’attendant à ce que les détaillants offrent une livraison le jour même où le lendemain, par rapport à 2017. La rapidité est donc la clé du succès pour les acteurs de l’économie. Par exemple, le géant de l’e-commerce Amazon a lancé des magasins physiques sans caissiers appelés Amazon Go.
Les consommateurs plébiscitent de plus en plus les interactions digitales et automatisées. Les applications en ligne pour gérer son compte en banque, ses voyages ou ses loisirs sont maintenant la norme. Les consommateurs, ont accès à une information personnalisée, en continue et en temps réel. Ils sont autonomes dans leurs prises de décisions. Cette digitalisation des relations humaines renforce l’impatience des consommateurs qui veulent avoir accès aux données disponibles n’importe quand et n’importe où.
L’impatience des consommateurs exerce une pression continue sur l’industrie et donc implicitement sur les performances des workers. Il faut donc trouver des solutions innovantes pour aider les collaborateurs à être plus productifs et faire face à ces nouvelles attentes, par exemple en développant de nouveaux modes d’interactions internes et externes digitalisés (chat textuel, vidéo, partage de documents en temps réel, réunions virtuelles, etc.)
Modifications des règles de marché et d’échanges
Dans un monde où la concurrence provient d’acteurs non prévisibles, il faut augmenter constamment sa productivité. Cela peut passer par un suivi d’activité de qualité, un apport d’informations plus important et une amélioration des conditions de travail.
Le travailleur peut voir sa capacité de production augmentée par le simple fait d’avoir un accès aux données nécessaires à son travail. Un bon exemple de ce fait a été communiqué par DHL qui a mené des expérimentations et a annoncé la réussite de ses pilotes « Vision Picking ». Celle-ci tournait autour de l’utilisation de casque à réalité augmentée sur certains de leurs sites de stockage et distribution. En plus de réaliser l’objectif initial, qui était de libérer les mains des travailleurs et fournir de l’informations, l’expérimentation a montré une augmentation de la productivité, une réduction du taux d’erreurs, et baisse du temps nécessaire à intégrer et former de nouvelles personnes.
Un constat similaire a été obtenu chez Boeing et Enedis qui ont mené des expériences similaires. Le bénéfice obtenu est respectivement de 30% et 25% de réduction du temps nécessaire à la réalisation de leurs tâches quotidiennes. En complément de ce gain, les employés de Boeing ont indiqué bénéficier d’une meilleure qualité de vie au travail grâce à l’arrêt de l’utilisation d’ordinateur sur la chaine de montage.
Impact sur les ressources naturelles
Les développements de l’Augmented Worker ne peuvent se concevoir sans contribuer autant que possible à réaliser des gains de productivité énergétique et de matières premières.
D’après les calculs de cet organisme si toute l’humanité consommait comme les Français, en 2018 elle aurait exploité l’équivalent des capacités de régénération de 2,9 Terre. Un résultat très éloigné du niveau soutenable à l’échelle de notre seule planète. En bref, nous avons dépassé la capacité de la planète à reproduire le capital naturel sans lequel nous ne pouvons subvenir à nos besoins.
Ces chiffres fournissent la preuve, s’il en fallait une, que les ressources se font de plus en plus rares. Le gaspillage de ces dernières devient donc le principal challenge des entreprises. En effet, elles cherchent à la fois à réduire leur empreinte carbone tout en augmentant leur productivité. Cela passe donc par l’optimisation de l’exploitation des ressources grâce en grande partie aux innovations technologiques.
Notre planète est limitée, mais les possibilités humaines ne le sont pas. Vivre selon les moyens que nous accordent notre planète est technologiquement possible, financièrement bénéfique et notre seule chance pour un avenir prospère.
Ainsi, à titre d’exemple, l’augmentation du télétravail permettant de réduire une partie du transport quotidien et de la pollution qui y est liée, est un cas d’usage simple illustrant un impact de l’Augmented Worker sur les émissions de CO2 et les externalités positives qui en découlent.
Cependant, au-delà de ce premier niveau d’analyse, il convient de réfléchir également aux impacts négatifs qui sont liés à la digitalisation et à la virtualisation des modes de travail. La consommation d’énergie de 10 télétravailleurs est-elle inférieure, égale ou supérieure à celle de 10 travailleurs réunis dans un même bureau mutualisant la consommation d’électricité pour brancher leurs ordinateurs, le réseau wifi et les éclairages ?
Pour la fabrication du hardware digital, de nombreux composants naturels sont nécessaires (silicium, lithium…), et l’augmentation d’outils digitaux via l’Augmented Worker renforce ces besoins.
Le sujet de l’impact sur les ressources naturels est donc complexe et appelle à une réflexion globale tant sur les procédés de fabrication des outils digitaux que sur leurs modes d’utilisation, leur obsolescence et leur réutilisation (cf. la Blue Note du Bengs Lab sur l’économie circulaire).
Augmentation des contraintes réglementaires
Protection des données privées
Un règlement général sur la protection des données (RGPD) a été établi pour contrôler les données collectées par les entreprises. Il a pour but de responsabiliser toute organisation qui traite des données personnelles (clients, prospects, usagers, employés, etc.). Il s’applique sur tout traitement de données qui permettent d’identifier des personnes directement ou indirectement.
Ces contraintes réglementaires sont établies pour protéger l’usage des données du worker lors de l’implémentation de technologies innovantes.
Responsabilité juridique
Dès lors qu’une technologie d’Augmented Worker réalise des tâches avec une forte autonomie d’action et de prise de décision par rapport au travailleur, la question de la responsabilité se pose de manière complexe.
En cas de défaillance d’un outil robotisé, qui est responsable des conséquences ? Le fabricant de l’outil ? Le développeur ayant rédigé son algorithme ? La société l’ayant acquis ? Le travailleur l’utilisant ?
Quelle est la limite de responsabilité entre le droit de contrôle octroyé à un outil automatisé, l’action du travailleur humain, et le service fourni ?
Par exemple, si un routier au volant d’un camion autonome capable de rouler seul sur certaines portions du trajet est victime d’un accident, ces questions se posent de manière critique et exigent d’être anticipées par le législateur, les dirigeants d’entreprises et les compagnies d’assurance.
De manière générale, le cadre réglementaire actuel fondé sur les interventions d’humains en pleine responsabilité d’action, dans une unité d’espace et de temps bien définie, nécessite d’être complètement revu.
L’unité d’espace et de temps, rien que par le travail à distance rendu possible pour de plus en plus de métiers via la digitalisation et l’AW, est remis en question. Le chef d’entreprise ayant une obligation de résultat sur la sécurité au travail de ses collaborateurs se trouve à risque dès lors que nombre de ses employés sont chez eux et qu’il n’a pas de prise sur leur cadre de travail, le respect des horaires…