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Quand l’économie de partage s’invite dans l’entreprise

2 Oser mais comment ?

Valoriser ses actifs en cinq étapes

La première et la deuxième étape sont indissociables. Il s’agit d’une part d’identifier les actifs ayant une valeur latente pouvant être valorisée et d’autre part de penser usage, c’est-à-dire d’identifier tous les leviers de valorisation de cet actif. La troisième étape permet de définir les cibles de la valorisation des actifs, les « clients » potentiels, en interne, en externe, particuliers ou entreprises. Une fois les cibles identifiées, la quatrième étape amène à définir les modes de commercialisation, de ciblage des clients et les modes de rémunération associés. Enfin, la cinquième et dernière étape se concentre sur la valeur additionnelle de l’actif.

 

1-IDENTIFIER LES ACTIFS

POUR FACILITER LE RECENSEMENT DES ACTIFS, TROIS CATEGORIES FACILEMENT IDENTIFIABLES ONT ETE DEFINIES.

La première catégorie concerne les actifs matériels. Elle comprend l’ensemble des actifs physiques de l’entreprise, facilement identifiables car tangibles. La seconde catégorie concerne les actifs immatériels et comprend les actifs intangibles tels que les brevets, la marque, les portefeuilles clients et fournisseurs. Une troisième catégorie, constituée d’éléments matériels et immatériels, se segmente par technologie : serveurs, ordinateurs, téléphonie, sites Internet, données, licences de logiciels, etc. La démarche d’identification de ces actifs les considère dans une catégorie à part car les acteurs à solliciter pour réaliser l’inventaire se limitent souvent à la Direction des Systèmes d’Information.

 

2-PENSER USAGE

L’ESTIMATION DU POTENTIEL DES ACTIFS REQUIERT D’APPREHENDER CE QUI EST VALORISABLE ET SUSCEPTIBLE D’INTERESSER UN TIERS.

Concernant la valorisation de l’actif, deux catégories de valeur peuvent être distinguées : la valeur intrinsèque de l’actif qui est une valeur objective et la valeur d’usage qui est plus subjective. Pour augmenter la valorisation d’un actif il est nécessaire d’appréhender les usages qui peuvent en être fait et d’ainsi valoriser le prix qu’est prêt à payer un client potentiel pour ceux-ci. Les Directions Marketing des grands groupes ont compris depuis longtemps l’intérêt de fonder leur approche du client sur la valeur d’usage plutôt que sur la valeur intrinsèque. Michelin, par exemple, ne vend plus des pneus mais des kilomètres parcourus. Tout l’enjeu est donc de penser usage et de ne plus considérer les actifs uniquement pour ce qu’ils sont.

Pour ce faire, plusieurs approches coexistent, l’une centrée sur l’actif avec une analyse de ses fonctions premières, l’autre orientée sur les besoins et les attentes des clients potentiels.

La première : Susciter le foisonnement d’idées via l’animation d’un projet d’entreprise

Penser usage, oui mais comment ? D’un côté, il s’agit d’accompagner la collecte en cours en recensant les initiatives perçues par la chaîne hiérarchique. Les dirigeants identifient les actifs de manière « comptable », les qualifient en leur attribuant un usage perçu. De l’autre, les collaborateurs complètent la photographie et rendent compte des usages réels des actifs identifiés en en identifiant de nouveaux. La seconde étape consiste à stimuler l’intelligence collective en créant une communauté de co-création multipartenaires. Cela consiste à mobiliser la connaissance de l’ensemble de la chaîne de valeur, l’écosystème (partenaires, clients, fournisseurs…) et les forces vives en interne afin de faire émerger des idées et de faire naître l’innovation. Cette démarche d’innovation collaborative permet de fédérer l’ensemble des collaborateurs dans la recherche de nouveaux gisements de valeur pour l’entreprise. Elle permet également de recenser le maximum d’actifs et leurs usages pressentis au sein de l’organisation. Une réconciliation « au fil de l’eau » permettra de compléter le tableau des actifs de manière la plus exhaustive possible

La seconde : Identifier des business models innovants en rompant avec les habitudes

Comment stimuler l’intelligence collective et en animer la collecte ? La principale difficulté ressentie lors d’une démarche d’innovation est comment l’animer et comment faire participer ses membres. La question à se poser n’est pas : quelle innovation ? Mais plutôt comment la faire accoucher ? Des plateformes proposent aujourd’hui de sortir des sentiers battus des boîtes à idées et autres focus groupes comme Qmarkets ou InnoCentive. Ces solutions de gestion de l’innovation peuvent aider la collecte, l’identification, le criblage des actifs et la gestion d’idées innovantes de type : « Quel usage associer à cet actif ? ». L’implication des groupes engagés dans le processus y est souvent décuplée en les faisant participer à une stratégie de culture d’innovation efficace et stimulante. Toutefois, pour obtenir les résultats attendus, encore faut-il avoir communiqué en amont auprès des futurs utilisateurs sur l’orientation stratégique du projet (les équipes doivent se sentir concernées) et générer un engagement organisationnel (permettre à tous de travailler ensemble).

 

3-DEFINIR LES CIBLES

Dans le cas d’un marché B2C, la valorisation de la valeur latente d’actifs doit s’inscrire dans un contexte favorable :

  • L’entreprise est déjà connue du grand public et a un accès au marché
  • Le potentiel de valorisation de ses actifs est assez important et cette valorisation ne brouillera pas l’image de l’entreprise auprès du grand public

C’est l’exemple de l’expérimentation de la Poste proposant de louer ses véhicules non utilisés aux particuliers. Concernant le B2B, la définition des cibles se heurte à des problématiques liées notamment à la concurrence. Ai-je intérêt à valoriser mes actifs en les mettant à disposition d’un de mes concurrents ? Quelle pertinence y a-t-il à partager mes actifs différenciants, qui me confèrent un avantage compétitif ? Le modèle pyramidal évoqué précédemment fournit une grille d’analyse pour répondre à ces questions.

 

4-OPTIMISER LE GO TO MARKET

LA COMMERCIALISATION DE L’USAGE D’UN ACTIF PEUT SE FAIRE VIA DIFFERENTS CANAUX DE MISE SUR LE MARCHE.

En premier lieu se pose la question de l’utilisation d’une plateforme pour mettre en ligne ses actifs, afin d’en accélérer la phase de Go to Market. Sur le modèle des plateformes permettant aux particuliers d’échanger des biens et des services, certaines proposent aux entreprises de partager leurs bureaux ou leurs capacités de production. Même si l’offre reste encore limitée à quelques catégories d’actifs (principalement les bureaux), elle permet d’externaliser une partie du processus de commercialisation. L’entreprise qui souhaite commercialiser ses actifs n’a qu’à définir les modalités de contractualisation et les liens logistiques à mettre en place. Par exemple, la plateforme de vente, d’échange et de location « theassets.co » permet aux entreprises de monétiser toutes les parties de leur bilan :

  • Actifs matériels (machines, immobilier, stocks…)
  • Actifs immatériels (brevets, logiciels, bases de données…)
  • Actifs financiers (actions, dette)

Un autre canal consiste à passer par un intermédiaire, sans passer par une plateforme en ligne, avec une externalisation de la commercialisation. Ce canal présente un intérêt dans le cas d’un marché avec un nombre d’acteurs limité. Par exemple, si une entreprise souhaite valoriser ses chariots élévateurs en les commercialisant, elle aura tout intérêt à se rapprocher des grands acteurs reconnus par le marché. Une commercialisation sans passer par une plateforme en ligne nécessite en revanche la mise en place d’une gouvernance appropriée au sein de l’entreprise. La gouvernance doit définir l’ensemble des principes en commençant par la définition des cibles (quelle pyramide logique) en fonction des enjeux de l’entreprise au sein de son écosystème. Les modalités du Go to Market définies, il ne reste plus qu’à identifier le mode de transaction le plus adéquat. Deux options peuvent se présenter : vendre ou échanger. Si l’on veut vendre, l’enjeu est de définir d’une part le coût de la mise à disposition de l’actif et d’autre part le prix qu’est prêt à payer un acteur économique pour utiliser cet actif (en fonction de son usage). A l’origine, CATIA est un logiciel développé pour les besoins internes de Dassault Aviation. Créée en 1981 pour assurer le développement et la commercialisation du logiciel, Dassault Systèmes, filiale du Groupe Industriel Marcel Dassault valorisée à plus de 17 milliards d’euros, vend aujourd’hui ce logiciel de Conception Assistée par Ordinateur à tous types d’industriels, y compris des concurrents directs de Dassault Aviation. Par la création d’une structure autonome, le Groupe Industriel Marcel Dassault a su valoriser un actif initialement latent. Si l’on veut plutôt échanger, la question de la valeur est plus délicate car il s’agit d’entrer dans une logique gagnant-gagnant en échangeant des actifs dont la valeur peut être difficilement comparable. Le Pôle Interministériel de Prospective et d’Anticipation des Mutations Economiques (PIPAME) a édité le guide des échanges interentreprises de biens et de services ou « Barter ». Ce guide établit les huit règles d’or des échanges interentreprises et recommande : « L’instauration d’un climat de confiance et d’adaptabilité, où prévaut l’esprit coopératif, entre les partenaires. L’échange ponctuel peut ainsi être le premier pas de relations partenariales de plus long terme. Pour cela, il est intéressant de ne pas le mener comme une simple opération commerciale « spot », non récurrente et en « one to one », mais d’engager en amont une réflexion stratégique sur son intérêt et son meilleur usage pour l’entreprise. »

 

PANORAMA DES PLATEFORMES D’ECHANGES INTERENTREPRISES EXISTANTES

De nouveaux business models reprenant les codes de l’économie de partage émergent en incorporant les problématiques les plus connus et les plus récurrentes à la vie en entreprise. Que faire de mes espaces non utilisés ? Comment tirer profit de mes équipements sous-exploités ? Est-il possible de partager les compétences de mes salariés afin d’en dégager de nouvelles sources de revenus ? Trois grandes familles de plateforme d’échange interentreprises existent :

  • Les plateformes permettant d’échanger des espaces de travail, des bureaux, des salles de réunion, etc. Fondée en 2010, WeWork propose aux particuliers, aux freelances, aux entrepreneurs, aux start-up ou même aux artistes de louer des espaces de travail en commun, des salles de conférences ou pour des événements. Pour renfoncer l’esprit de coworking, la société a également travaillé à développer une communauté de 25 000 membres à qui elle propose d’interagir par le biais d’une application mobile.
  • Les plateformes d’échange d’équipement, comme les transports routiers, les machines, les équipements spécialisés, etc. C’est par exemple le rôle que s’est donné la plateforme Cargomatic qui met en relation expéditeurs et transporteurs dans le but d’optimiser l’espace de stockage des camions de transport routier.
  • L’échange d’une expertise par la mise à disposition d’un expert, d’un consultant ou d’une assistante se révèle aussi une nouvelle opportunité pour l’entreprise. Ainsi, HourlyNerd, réunit un réseau de plus de 10 000 experts business qui offrent leurs services à des entreprises ayant des besoins précis.

Entre 1 200 et 2 000 entreprises à travers le monde proposent d’accompagner les échanges interentreprises, 60% se situent aux Etats-Unis.

 

LES 8 RÈGLES D’OR DES ÉCHANGES INTERENTREPRISES

1 – Adopter un esprit coopératif

2 – Analyser ses besoins autant que ses offres

3 – Echanger à titre complémentaire et non principal

4 – Ne pas devenir dépendant des échanges pour le processus de création de valeur de l’entreprise

5 – Eviter de créer sa propre concurrence

6 – Préserver les actifs stratégiques

7 – Veiller à l’équilibre des transactions avec les partenaires, dans un délai maîtrisé

8 – Echanger au bon prix

Avant de donner un prix vous devez justifier de la valeur Jeff Walker, auteur et inventeur de la Product Launch Formula, méthode qui a jusqu’à présent permis de générer plus de 400 millions de dollars de ventes en ligne

5-DEFINIR LA VALEUR

Pour commercialiser la valeur latente d’un actif, il peut être nécessaire d’en déterminer le prix, et donc d’évaluer sa valeur sur le marché. Il existe plusieurs méthodes permettant d’arriver à un résultat qui ne sera cependant jamais à considérer comme définitif. L’évaluation de la valeur d’un actif étant plus proche d’un art que d’une science, il est impossible de connaître la valeur précise d’un bien ou d’un service.

La valeur d’un actif est subjective et dépend non seulement du point de vue de celui ou de celle qui tente de la déterminer, mais aussi de plusieurs autres facteurs, notamment :

  • Sa capacité à générer des revenus pour l’entreprise détentrice
  • Le taux d’actualisation en vigueur pour ce type de bien / service
  • Les règles internes de gestion et de comptabilisation de la marge
  • La rareté de l’actif
  • La position de l’entreprise dans son écosystème
  • L’état du marché

Le « good price to sell » est un prix situé entre le coût de possession (qui inclut les coûts internes et les investissements relatifs à la possession de cet actif) et la valeur de marché de ce bien ou de ce service (le prix auquel sont vendus les produits concurrents, la valeur moyenne de l’usage de ce produit ou service). Le « good price to sell » est le prix qui réconcilie la vision de l’acheteur et celle du vendeur. C’est le prix qui s’accorde à la perception qu’a le consommateur ou l’utilisateur de la valeur du bien ou du service proposé à l’usage. Le prix de l’usage de l’actif doit sortir de la logique consistant à appliquer un taux de marge sur un coût de commercialisation pour rentrer dans les ratios de gestion de l’entreprise. Au contraire, dans le domaine de la valorisation des actifs latents, il convient d’innover, de sortir des modèles économiques existants. Le risque en appliquant les recettes existantes est de ne pas être en mesure de rencontrer un marché d’acheteurs et de passer à côté d’une opportunité de gains, financiers peut-être, mais pas seulement. La valeur perçue de la qualité du produit ou du service proposé influe beaucoup sur la valeur que le consommateur est prêt à payer, à la hausse comme à la baisse. C’est donc un critère auquel il est recommandé de prêter une grande attention quand on décide d’en commercialiser l’usage. Une fois tous ces facteurs pris en considération et réconciliés, on obtient le « Good price to sell ». Enfin, pour chaque valeur d’actif subsiste une ambiguïté : le coût d’opportunité. Il n’est pas toujours possible de faire deux choses en même temps. Par conséquent, le capital alloué à un actif ou à l’usage de cet actif ne peut être alloué dans le même temps à un autre actif ou un autre usage. Le coût d’opportunité est la mesure de la perte monétaire que représentent les biens auxquels l’on renonce en affectant les ressources disponibles à un autre usage, ou bien en renonçant à un investissement pour en favoriser un autre. C’est en mesurant le coût d’opportunité pour chaque actif et chaque usage relatif à celui-ci que nous pourrons déterminer quelle est la valeur latente.