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Des anthropologues chez les automobilistes indiens

La chronique « L’effet papillon » de Nicolas Rousseaux

Retrouvez les Chroniques d’Expert de Nicolas Rousseaux dans la Harvard Business Review France : http://www.hbrfrance.fr/experts/nicolas-rousseaux/

Pour inventer la voiture de luxe du futur, Ford envoie des équipes spécialisées en sciences sociales au fin fond de l’Inde, de la Russie et de la Chine !

Dans un sous-sol secret de Detroit, au siège social de Ford, il fut un temps où, des années durant, les ingénieurs de la firme prenait un malin plaisir à décortiquer, découper, dépecer, analyser, décomposer les innovations de leurs marques concurrentes, à commencer par Cadillac (General Motors) qui détrôna Lincoln (marque phare du catalogue Ford) au Panthéon de l‘industrie automobile américaine. Sans oublier les Mercedes, autres BMW et Audi…

Mais voilà le bunker a fermé ses portes. Et, depuis les années 70, Lincoln (5,5 % des voitures de luxe, pour des acquéreurs à la moyenne d’âge de 65 ans) reste encore bien loin des parts de marché de Cadillac, aux Etats-Unis comme dans le monde entier.

Comment s’y prend le constructeur centenaire pour préparer sa reconquête ? Une révolution marketing est en marche. Ce n’est plus l’expression des préférences fonctionnelles d’un consommateur qui compte (puissance, revêtement, électronique, design,…), mais le contexte social dans lequel il évolue.

Et la clef est de comprendre les motivations sociales et culturelles profondes des consommateurs au travers de leurs comportement les plus intimes ou inattendus car non « cartographiables ». Nous vivons une époque dans laquelle on ne peut plus séparer le corps et l’esprit, la personne de son environnement. Ce que les philosophes appellent la phénoménologie.

A Detroit le cimetière en sous-sol a été remplacé par un laboratoire en forme de salle blanche dans laquelle un parfum d’agrume survole l’atmosphère. C’est ici que les ingénieurs de Ford écrivent l’histoire de Lincoln en 2030.

Après que des millions de données aient été rassemblés pour mettre en équation la formule magique automobile. Leurs efforts étaient concentrés sur le produit, pas sur l’usage, et encore moins sur les différentes manières dont leurs futurs acheteurs reconstruisaient la réalité autour de leur automobile ; voilà une information qu’aucune base de donnée n’est capable de traduire.

Les dirigeants de Ford décident alors d’envoyer des enquêteurs aux quatre coins des Etats-Unis et de Chine, puis d’Inde et de Russie. Surtout pas des spécialistes en marketing ! Le rôle de chaque chercheur (la majeure partie étant des anthropologues de formation) étant de recomposer le plus précisément possible le réseau complexe de structure sociale autour de chaque conducteur, en passant le temps nécessaire avec les parents, les cousins, les amis, les voisins, etc.

Six mois plus tard, les « explorateurs » rendirent leur verdict : le temps de conduite ne représente que 5 % du temps passé dans la voiture. Ce qui compte, c’est que ce pourcentage corresponde à une expérience unique. Ainsi, ce Moscovite de 37 ans raconte que son « pied » est d’être seul en écoutant du hip-hop à fond dans sa voiture. Une chose qu’il ne peut faire nul part ailleurs. Une Indienne de 38 ans, à Mumbay, révèle que son moment de joie intense est de partir vers Goa à la nuit tombante, avec des copines.

Grace à ces centaines de témoins, Ford est en train de reconsidérer de fond en comble tout le processus de fabrication, en particulier de ses accessoires, dans une sorte de nouvelle « chaine de sens ».

Vous voulez réimaginer le luxe de demain ? Commencez par traquer les multiples sensations dont chacun rêve, en secret.

NR