L’industrie médicale est mise à l’épreuve sur toutes ses dimensions : le dépistage, la prévention, l’efficacité du système de santé, la recherche et la fabrication de traitements, son financement, …
Depuis 20 ans, les métiers de la santé ont peu évolué
Comparée à d’autres industries comme le Retail ou la Banque, pour n’en citer que quelques-unes, la transformation digitale de l’industrie pharmaceutique et du secteur de la santé en général est encore balbutiante.
L’Assemblée Mondiale de la Santé de l’OMS se tient depuis hier en pleine tourmente du Covid-19. Ce qui était habituellement un rendez-vous entre experts peu visible devient d’un seul coup le théâtre sous haute tension d’une bataille géopolitique entre pays.
Comment cette industrie lourde, très règlementée et complexe à transformer absorbe-t-elle ce choc ? Comment s’empare-t-elle des opportunités d’accélération au profit, d’une part, de son propre business mais aussi au profit de la santé humaine ?
Le point sur les tendances en sommeil de cette industrie :
- Health Tech, Intelligence Artificielle, Transformation digitale,
- Emergence de nouveaux business models,
- Réduction des gaps médicaux dans les pays en voie de développement.
Qu’est-ce que Covid-19 change dans la prise en charge des patients ?
La crise du Covid-19 a permis de booster des opportunités en sommeil qui peinaient à se concrétiser
Avant Covid il y avait encore une grande frilosité au développement de la télémédecine. Et pourtant en l’espace de deux semaines, le taux d’adoption de la téléconsultation par les médecins généralistes est passé de 20% à 70% sur Doctolib.
Dans le domaine de la prise en charge du patient, en cancérologie par exemple, la Health Tech s’est mobilisée pour apporter des solutions permettant d’assurer la continuité des traitements des patients maintenus en dehors des hôpitaux.
Les laboratoires pharmaceutiques focalisent leurs efforts sur la recherche et le développement au plus vite d’un traitement ainsi que la production et l’approvisionnement des médicaments d’urgence pour les blocs de réanimation Sur ce dernier point l’exploitation de la data et l’analyse des signaux faibles sur les réseaux sociaux ont notamment permis à certains comme MSD d’anticiper les besoins en curare avant même les demandes des pays et d’accélérer leur production en conséquence.
La crise a aussi permis de mettre en évidence l’importance du maillage des pharmaciens et leur a donné, au moins pendant cette période, un rôle de plus en plus important notamment en leur permettant d’étendre le renouvellement des traitements chroniques (par arrêté du 15 mars 2020 et ce jusqu’à fin mai).
L’intelligence artificielle est attendue au tournant, notamment dans la recherche
La technologie est prête et ouvre un champ des possibles immense.
Peut-on prédire les patients qui vont aller en réanimation ? Peut-on les trier à l’avance ? Peut-on prédire les patients que l’on considère comme symptomatiques ? Quelles sont les associations de signes qui sont symptomatiques ?
L’intelligence artificielle est un outil de prédiction puissant qui vient augmenter les capacités de diagnostic et d’analyse du chercheur ou du médecin.
Elle permet notamment d’identifier des sous-groupes de patients que l’on ne peut pas apercevoir dans des essais cliniques aussi bien structurés soient-ils. Pour les caractériser il faut des combinaisons de biomarqueurs qui sont parfois radiologiques et inaccessibles via des systèmes informatiques classiques.
Grâce à une meilleure stratification des patients, une meilleure quantification des lésions sur les scanners, une meilleure combinaison des biomarqueurs l’intelligence artificielle permet d’améliorer l’efficacité des essais cliniques.
La découverte et la compréhension de ces nouveaux sous-groupes de patients, de nouveaux mécanismes de réponse à un traitement peuvent permettre d’accélérer non seulement le développement mais aussi la recherche thérapeutique, au travers de prédictions faites sur des données patients.
Un autre domaine d’application sous exploité est celui de l’analyse des data après la phase de mise sur le marché, afin de comprendre comment les différentes populations réagissent au traitement.
Le réseau des pharmaciens permet également d’obtenir du signal sur les comportements des patients, sur les données de co-prescriptions dangereuses dans le but de prédire les risques de mortalité ambulatoire par exemple.
Publish or Perish! Je partagerai mes data plus tard
La grande question de l’Intelligence artificielle dans la santé est celle de l’accès aux data. Pour que l’intelligence artificielle puisse tenir toutes ses promesses, notamment dans la recherche, il faut les bons data set d’entrainement.
La crise du Covid-19 a engendré de gros silos de recherche tout azimut car tout le monde veut faire une découverte. Le nombre de publications scientifiques a explosé depuis le début de la pandémie (5 par jour).
Comment mettre à disposition les data ? Comment gérer la confidentialité ? Comment les agréger ? Autant de questions qui poussent les acteurs de la Health Tech à innover pour contourner les freins :
Owkin par exemple a créé un consortium Européen de partage des data en open source COAI, et développé une solution de federated learning qui permet d’accéder aux data set sans les extraire des institutions médicales et préservant ainsi leur confidentialité (Data does not move, only algorithms travel).
Médecins et patients découvrent de nouvelles pratiques et les comportements changent très vite
Il y a des choses que l’on pense impensables dans un pays et qui pourtant existent dans d’autres.
En Italie ou aux Etats-Unis il est possible de se faire dépister ou de se faire vacciner chez son pharmacien. Au Brésil il est possible de se faire livrer des médicaments à domicile.
Les médecins et les patients en situation d’urgence se sont rendus compte qu’il y avait de nouvelles pratiques qui ont démontré leur efficacité.
Il n’est pas nécessaire de se déplacer pour revoir son médecin tous les 3 mois, ou bien d’y retourner simplement pour un renouvellement de prescription. Cela peut se faire par téléphone sans avoir à repayer une consultation, que la sécurité sociale devra à nouveau rembourser.
Le patient prend très vite goût à ces nouveaux usages et il lui sera très difficile de renoncer à une expérience innovante qui a fonctionné.
Ces innovations posent la question de la désintermédiation et des enjeux de réduction, de transfert de coût, de redistribution de la valeur des acteurs historiques vers de nouveaux entrants:
- Faut-il nécessairement des pharmaciens pour distribuer des médicaments de manière sécurisée ? Pas nécessairement.
- Faut-il nécessairement des laboratoires coûteux pour diagnostiquer ? Non plus.
Il devient donc urgent pour les acteurs de la santé d’identifier les impasses stratégiques et de faire émerger des idées pour désagréger la chaine de valeur traditionnelle, en termes de:
- Digitalisation de la conception d’un produit ou service au sein d’une chaine de valeur : comment éliminer les coûts perçus comme superflus ? « Je suis prêt à payer mon médecin tant que je suis en bonne santé. J’arrête quand je tombe malade car il n’a pas fait son boulot »
- Dématérialisation : comment acquérir et valoriser de la data plus efficacement ?
- Désintermédiation : une fois le produit ou service conçu, quels sont les intermédiaires sans valeur ajoutée à éliminer ?
La crise fait-elle émerger de nouveaux business models plus résilients ?
L’Industrie de la santé est extrêmement régulée et porte le poids d’un historique puissant, de ses lobbys, de ses résistances au changement, des protections d’oppositions héritées du passé. Ce sont autant de freins à l’adoption à grande échelle d’un certain nombre d’innovation dans l’accès aux soins.
Aujourd’hui 2 milliards d’êtres humains n’ont pas accès à la santé. Le monde dépense en moyenne 10% de sa richesse dans la santé (% du PNB, Source Banque Mondiale). Il y a 2 médecins pour 10 000 habitants en Afrique Subsaharienne quand il y en a 32 par habitants en Europe.
A l’horizon 2030, 100% de l’humanité doit avoir accès aux soins
Plus vite on atteint cet objectif de donner un accès aux soins de base à tous, et mieux l’humanité se portera dans les pays riches comme dans les pays pauvres.
A l’image de la mobilisation mondiale pour la préservation de la biodiversité, cette crise saura-t-elle faire perdurer de nouvelles formes de solidarité et de collaboration au service de la préservation de la santé humaine et de l’accès aux soins pour tous ?
Les systèmes de santé, les politiques de santé, les investissements des acteurs de la santé vont-ils ou non s’aligner sur l’atteinte de cet objectif durable, comme toutes les industries s’alignent sur les objectifs liés au climat ?
L’économie de la vie n’est pas seulement un coût mais aussi un investissement
Aujourd’hui l’institut Pasteur de Dakar est capable de produire des respirateurs à 60$ l’unité et un test Covid a 1$ l’unité. Et pourtant peu d’investisseurs se ruent pour investir dans le passage à l’échelle de cette innovation en vue d’inonder le marché mondial.
La crise renforce l’importance de créer des écosystèmes locaux, mais aussi des collaborations internationales pour ne pas tomber dans un discours de repli.
Il faut créer des cadres qui s’appliquent et qui permettent aux initiatives locales d’émerger. A l’inverse, il ne faut pas attendre que les Etats bougent à l’international pour avancer sinon dans 20 ans on y est encore.
Les entreprises du secteur ont un rôle fondamental à jouer, car ce sont elles qui réalisent cette transition
Cela nécessite de refondre la notion de responsabilité de l’entreprise, qui devient plus large que la simple recherche de profit.
Elles ont aussi la responsabilité de faire remonter à l’Etat les limites juridiques qui pèsent sur elles
Il est préférable de créer des coalitions d’entreprises, en ralliant à une cause 25% des acteurs qui pèsent le plus lourd pour arriver à un point de bascule et donc un levier de négociation plus efficace vers les 70% restants et les Etats.
Sans tomber dans le Lifewashing, il s’agit de mettre en place une sorte de Pacte de Responsabilité élargi dans le but de :
- Faire des économies,
- Répondre à des défis sociaux et de développement durable.
Ainsi, collectivement le secteur privé, l’Industrie du médicament, la Health Tech, les grands bailleurs de fonds internationaux et les gouvernements locaux font le choix d’investir pour faire en sorte que les systèmes de santé des pays en voie développement évoluent rapidement au bénéfice d’une meilleure résilience pour tous en cas de nouvelle crise.