En tant que cabinet de conseil en stratégie et innovation auprès de grands décideurs corporate, nous échangeons avec nos clients depuis le début de la crise économique liée au Covid19 sur les feuilles de route de redémarrage des COMEX.
Dans une série de 5 billets successifs nous souhaitons partager avec vous ici notre vision des clés du redémarrage réussi issue de l’analyse de ces feuilles de route stratégiques.
- Savoir d’où l’on part
- Penser le redémarrage au-delà des frontières de son entreprise
- Ne pas considérer que tout va changer ou que tout sera comme avant
- Prendre en compte les impacts psychologiques du confinement
- Intégrer un nouveau référentiel de prise de décision
Nous vous invitons également à partager cette analyse lors d’un webinar qui se tiendra le 5 mai prochain de 10h à 11h.
Chapitre 3: Ne pas considérer que tout va changer ou que tout sera comme avant
Après avoir travaillé sur leur point de redémarrage et pris en compte une vision par filière pour les mesures de relance, un paramètre plus psychologique parait essentiel aux yeux de nos clients. Il a trait à la vision de l’avenir face à laquelle la crise nous positionne. Est-ce que tout va changer ? Ou au contraire tout va revenir à la normale comme avant ?
Deux courants de communication s’opposent
Vous avez pu constater que depuis quelques semaines, à grand renfort de communications chocs, deux courants de communication extrêmes s’opposent.
» Tout va changer – Rien ne sera plus pareil «
Les crises sont réputées pour créer des changements plus ou moins profonds, durables sur les sociétés, les économies, les systèmes politiques. Par son ampleur et ses impacts protéiformes, la crise actuelle peut nous pousser à penser simplement que « tout va changer ».
Le retour des Etats-providence interventionnistes sur le plan économique auprès des entreprise, notamment en Europe Occidentale, va nécessairement modifier durablement le rapport entre les entreprises et les acteurs publics (cf. notre précédente analyse). La volonté de réindustrialisation locale de nombreux produits (médicaments, équipements sanitaires, produits de première nécessité…), sera orchestrée par les acteurs publics et a un impact direct sur nos acteurs économiques. Certains analystes croient y voir une modification complète de notre système capitaliste et du rôle que nos entreprises y jouent. Il est vrai que l’utilité sociale de chaque entreprise est déjà remise en question. Les entreprises incapables de produire en propre quoique ce soit d’utile à la société actuellement n’en sortiront pas gagnantes.
Les comportements individuels de nos sociétés connaissent déjà des évolutions liées à la crise. Les risques sanitaires liés aux contacts entre les individus vont modifier nos rapports aux lieux de vie commune, aussi variés que les restaurants, bars, transports en commun, open-spaces, salles de spectacles, stades… Quand ces comportements sont couplés à des évolutions déjà dans l’air du temps, comme la « la honte de prendre l’avion » notamment chez les nouvelles générations, ils ont un impact d’autant plus fort : voyagera-t-on autant qu’avant et de la même manière à l’issue de cette crise ?
» C’est juste un redémarrage »
Une des vertus reconnues, souvent bien a posteriori, d’une crise, est de favoriser un nouvel élan pour les sociétés en sortie de crise. Comme si de rien était ?
Le capitalisme de consommation semble retrouver ses droits dès qu’on réouvre la porte des entreprises et des consommateurs. Ainsi, le magasin Hermès de Guangzhou en Chine a enregistré son record de ventes le jour même de sa réouverture après le confinement, pour un montant de 2,7 millions d’euros ! De même, en France les réouvertures des McDonalds, entreprise symbolique s’il en est du capitalisme mondialisé, a créé des embouteillages inédits, comme à Moissy en Seine-et-Marne. Au redémarrage, des pics de consommation sont à prévoir, des records seront battus. La sous-consommation forcée et le rattrapage des consommateurs pour combler leurs manques, couplée à l’actuelle prudence des entreprises dans la consommation BtoB dans le contexte d’incertitude envers l’avenir, sont des pics logiques. Mais ces pics sont-ils le prélude à « juste un redémarrage » du capitalisme de consommation ou sont-ils juste conjoncturels et seront vite effacés par les nouvelles prises de conscience des consommateurs fomentées par la période de confinement (pourquoi ai-je besoin de consommer autant, et si je voyageais plus souvent dans mon propre pays…) ?
Si la consommation repart de plus belle et que les entreprises s’engagent dans un rattrapage de production agressif, que penser de la réduction sans précédent des émissions de CO2 due l’énorme réduction des activités industrielles et du transport? Ne serait-elle également qu’un maigre répit écologique temporaire pour la planète ?
Au sujet des entreprises qui vont disparaître, précipitées vers la faillite malgré les aides des pouvoirs publics, les partisans du « juste un redémarrage » arguent qu’il ne s’agit que d’une simple « destruction créatrice » un peu forcée. Une « destruction créatrice » non pas tirée par l’innovation mais par les impacts de la crise sur certains pans d’activité. D’autres entreprises se recréeront naturellement, voilà tout.
6 lectures de tendances au redémarrage
Bengs a développé la grille d’analyse des 6 forces à l’aide des managers de grandes entreprises mobilisés au sein du Bengs Lab, notre laboratoire d’Open Innovation analysant les ruptures des marchés et travaillant collectivement sur la création de business models innovants.
Cette grille d’analyse des 6 forces nous permet de penser ces deux extrêmes et de dessiner les contours du monde en redémarrage.
Changement des modes de consommation
Tant l’augmentation des ventes en lignes favorisées par maintien et le soutien des activités de livraison (à ce sujet, voir les courbes du commerce en ligne fournies par CCInsight), que les exemples du boom de consommation des magasins réouverts (Hermès, McDonalds…), peuvent augurer d’un retour à des modes de consommations traditionnels dans une certaine continuité. La part du commerce en ligne en serait certes augmentée, mais elle était déjà structurellement en hausse depuis plusieurs années.
Mais de l’autre point de vue, les perspectives de forte baisse des PIB des pays et d’une récession économique difficile à remonter ainsi que l’impact des autres facteurs sur la consommation (restrictions sanitaires dans les commerces par exemple) nous encouragent à ne pas adopter le discours de tout sera comme avant du point de vue de la consommation.
Au-delà des effets de loupe un peu trompeurs sur les indicateurs de consommation actuels, tant le volume de consommation que la façon de consommer évolueront lors du redémarrage.
Evolution de la pyramide générationnelle
L’incidence de ce paramètre par rapport aux autres n’a jamais été aussi forte sur l’analyse crise actuelle. Premièrement, les décisions et recommandations des pouvoirs publics au sujet des libertés individuelles sont liées aux différentes catégories d’âge. D’un côté les populations les plus jeunes, de retour peu à peu à l’école en France à partir du 11 mai, dans une progressivité directement liée à l’âge des écoliers. De l’autre les séniors à qui l’ont recommande de rester confinés encore longtemps. Les problématiques d’isolement social, des modes de consommation et des services à domicile des séniors, que les entreprises traitaient de plus en plus ces dernières années afin de répondre aux besoins grandissants (la fameuse « silver economy »), sont à la fois mises en lumière par la situation et appellent à des solutions nouvelles. Par exemple, une réflexion entre deux modèles d’organisation et d’aménagement des territoires opposés pour prendre en charge les séniors s’impose : doit-on encourager une sorte de ghettoïsation des séniors dans des immeubles médicalisés regroupant tous les services pour les accompagner, ou plutôt favoriser des maisons intergénérationnelles dont les étages inférieurs seraient réservés aux plus âgés, les étages supérieurs à des studios d’étudiants, les étages intermédiaires aux familles et un personnel médico-social mutualisé entre la petite enfance et les plus séniors ?
La situation de crise des EHPAD, et notamment le manque de moyens pour accompagner nos séniors en fin de vie, interpellent, choquent et appellent à des choix de société forts, à l’heure où le vieillissement des populations chamboule les équilibres (23,8% de plus de 60 an France en 2013 contre 29,6% en 2030, et 32,9% en 2050 selon les projections de l’INSEE). Du point de vue de la pyramide générationnelle, la crise a un impact réel sur la prise en compte des besoins différenciés des générations et des contraintes des libertés individuelles et ouvre de nouvelles réflexions sur le vivre ensemble intergénérationnel.
Nouveaux modes de production et d’organisation du travail
Les contraintes d’accessibilité sur les lieux de travail seront durables le temps de sortir progressivement de la crise, comme le montrent les dernières annonces du Premier Ministre français Edouard Philippe à ce jour du 28 avril 2020.
L’intégration de contraintes dans les conditions d’accès à son lieu physique de travail, aussi bien au niveau du déplacement domicile – lieu de travail que de l’organisation interne du lieu de travail ont une forte incidence sur cet angle d’analyse.
Cette 3ème force va connaître un changement radical du fait que l’unité de lieu et de temps d’entreprise disparait du fait de la crise. L’organisation même du travail est modifiée sur tous les aspects : le droit social est revisité, le droit aux congés est revu pour des raisons économiques, les horaires de travail seront modifiés pour limiter les saturations des transports, les durées de repos compensatoires adaptées, les modèles de management évolueront pour intégrer le travail à distance massif, les cultures d’entreprise et d’attachement des collaborateurs bouleversées, et enfin la localisation des collaborateurs par rapport au lieu physique de l’entreprise changera des paradigmes… Même si certains métiers vont connaître un redémarrage plus classique car ils ont un réel besoin de se rendre sur le lieu physique du travail (BTP, usines de production, opérateurs de transport…) dont la principale évolution sera une adaptation aux contraintes sanitaires, l’organisation globale du travail vivra de fortes évolutions.
Ces évolutions ne seront pas temporaires car, en premier lieu, les plans de déconfinement seront progressifs, en deuxième lieu les scientifiques incitent à prévoir de vivre avec le virus pour au moins 12 mois encore même si la situation se stabilise avant, et, en troisième lieu, car structurellement l’augmentation de la population mondiale et des flux favorisent l’apparition future d’autres crises sanitaires auxquelles les pays voudront pouvoir faire face plus efficacement.
Il est ainsi certain que du point de vue de cette force des « Nouveaux modes de production et d’organisation du travail », il ne s’agit pas que d’un simple redémarrage et que les évolutions seront fortes et durables.
L’augmentation des contraintes règlementaires
Le confinement a ouvert un champs des possibles règlementaires rapide et inédit. Pour répondre aux nouveaux besoins des populations confinées, les Etats ont adopté des mesures règlementaires sur des sujets aussi variés que la téléconsultation médicale, les livraisons à domicile de médicaments, le droit du travail, les règles de financement public – privé, le code des marchés publics pour assouplir le processus de commande publique, l’intervention de l’Etat dans les activités privées, le ratio d’investissement des entreprises via des prêts garantis par l’Etat… De nouvelles mesures qui vont parfois à l’encontre de principes de dumping social tels qu’édictés par les règles de l’Union Européenne et de l’OCDE.
Lors du redémarrage, il est à prévoir que des règlementations temporaires soient abandonnées en sortie de crise, mais également que d’autres seront conservées plus longtemps, adaptées à une application sur le long terme et à être votées en tant que lois.
Nos entreprises françaises ayant vécu dans un modèle de coût du travail très élevé par rapport aux moyennes mondiales découvrent un modèle où l’Etat français met en place un programme de protection des salaires des plus sécurisés et des mieux dotés de la planète via le dispositif de chômage partiel massif qui déporte ce coût salarial sur l’acteur public. L’équilibre règlementaire français s’en trouve revisité et la règlementation de demain tant sur des sujets de société (téléconsultation médicale) qu’économiques (accompagnement des entrepreneurs indépendants) évoluera durablement d’une manière difficile à prévoir encore.
Changement des règles de marché et d’échange
La mise en lumière de la forte imbrication entre les filières interroge sur la supply chain mondiale constituée progressivement depuis les années 1970 qui a fait de la Chine l’usine de production du monde. Les pays occidentaux se tournent vers des programmes de réindustrialisation sur des plaques géographiques de proximité. Cependant, l’adaptation des règles de marché et d’échange à une réindustrialisation massive de pays à l’économie fortement tertiarisés posent de nombreuses questions. Par exemple, la réindustrialisation de la production de médicament en France engendre mécaniquement une augmentation des coûts de production unitaire et donc requièrent une adaptation des grilles de remboursement de la Sécurité Sociale. Qui en supportera les coûts ? Comment adapter les règles de marché et d’échange entre l’économie privée et les pouvoirs publics pour supporter les coûts des relocalisations en limitant le report sur les prix d’achats des consommateurs ?
Les règles de marché vont également évoluer en fonction des choix politiques des priorité d’investissement sur certaines filières, en favorisant certaines au détriment d’autres car les capacités de financement sont limitées.
Intégration des impacts environnementaux
Nous l’avons vu, les modes de consommation de certains services et produits évoluent dans un sens positif pour les émissions de CO2 (diminution de la pollution industrielle, de la pollution liée au transport aérien…) et le redémarrage pose la question de la pérennité de ces impacts. D’une manière plus globale, la gestion de la décroissance économique sera liée à l’intégration des impacts environnementaux. Il faudra plusieurs décades pour effacer l’ardoise des plans de survie et des plans de relance des pouvoirs publics. Est-ce l’occasion d’intégrer la notion des impacts environnementaux dans le redémarrage ?
La question est complexe sur de nombreuses industries. Les pays occidentaux ont pris l’habitude d’exporter de nombreux déchets polluants pour qu’ils soient traités ailleurs, là où les coûts de retraitement sont moins élevés mais également les normes environnementales moins contraignantes. Mais si l’on souhaite relocaliser le retraitement du plastique pour retrouver une indépendance industrielle et limiter les flux de marchandises lors du redémarrage, comment gérer le coût ? Comment arbitrer entre la problématique économique et la problématique environnementale ?
En intégrant ces 6 forces à notre analyse du redémarrage, nous posons la question de donner une orientation plus pérenne au redémarrage économique.
Ne pas considérer que tout va changer. Ne pas considérer que tout sera comme avant
L’incertitude envers l’avenir et l’inquiétude qui en découle peut perturber le dirigeant d’entreprise et le conduire à simplifier le raisonnement. Si tout va changer, vous pouvez repartir d’une feuille blanche en redessinant totalement votre entreprise ! Si rien ne va changer, vous attendez sagement que l’orage passe avant de reprendre votre activité comme si de rien était. Dans les deux cas, votre feuille de route stratégique sera erronée car elle ne prendra pas en compte les comportements passés qui vont reprendre tels quels, ceux qui vont évoluer légèrement pour plus ou moins longtemps, et ceux qui vont radicalement et durablement.
Notre monde ne connait pas la fin de quelque chose ni le redémarrage d’un identique. Il s’agit bel et bien d’une évolution, d’une évolution multi-dimensionnelle guidée par un nouveau cap. Cependant la durée de cette évolution pour arriver à la cible de ce nouveau cap risque d’être très longue. Le plan de déconfinement annoncé par M. Edouard Philippe aujourd’hui montre bien qu’avant toute évolution nous vivons une période de transition plus ou moins longue en fonction de facteurs qui ne sont pas tous maîtrisables. La mutation du système politique, économique et social va être longue. Mais notre redémarrage dessine bien le point de départ d’un nouveau futur.
Chez nos clients, les dirigeants nous posent la question suivante pour anticiper ce nouveau futur : quels comportements individuels et collectifs vont être seulement conjoncturels, et lesquels vont modifier durablement mon organisation, mon business model, mes contraintes règlementaires, mon impact environnemental, les besoins des consommateurs et de mes clients ? Dans quelle mesure vais-je devoir pivoter et innover dans mon offre de produits et/ou services pour prendre en compte les changements durables ?
Suivez notre actualité et rejoignez nous le 5 mai 2020 de 10h à 11h pour le webinar dédié à ce sujet!