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Les business models de l’hyper personnalisation

1 L’hyper personnalisation une tendance naturelle qui a trouvé ses limites ?

Quels modèles économiques pour les offres personnalisées existants sur le marché ?

Nous avons étudié plusieurs dizaines d’offres de produits ou de services dits personnalisés existants sur le marché, essentiellement en BtoC mais également en BtoB. Quelles promesses avancent-ils ? Quels sont les business models associés ?

En appliquant une grille d’analyse croisant le degré de personnalisation des expériences avec le degré de personnalisation des produits et/ou services associés, 4 grands groupes d’acteurs au modèles économiques similaires se dégagent.

LA PERSONALISATION DANS LA CONSOMMATION DE MASSE

En bas à gauche de la matrice, se trouvent les produits de consommation de masse dont la personnalisation se traduit par des modifications cosmétiques : choix des couleurs ou des équipements en option, apposition d’un logo ou d’une image personnalisée sur les zones prévues à cet effet. On y retrouve assez naturellement les configurateurs des constructeurs automobiles. La personnalisation vient essentiellement de la combinatoire des options qui rend potentiellement chaque exemplaire unique. A titre d’exemple, Fiat 500 et Mini affirment proposer des centaines de milliers de combinaisons possibles. Les technologies d’impression numérique ou de transfert ont permis de voir l’émergence de nouveaux modes de personnalisation par l’ajout d’un élément de décoration spécifique à un produit industriel. Tout d’abord réservée au secteur de la fabrication d’objets promotionnels, cette technologie a permis à des acteurs comme Coca-Cola ou Nutella de proposer une personnalisation des canettes ou des pots de pâte à tartiner par l’impression d’un prénom ou d’un mot directement sur le produit.

 

LE PARADOXE DES OPPORTUNITES TECHNOLOGIQUES

La zone en haut à gauche est une zone de paradoxe. Comment imaginer qu’un produit aux caractéristiques spécifiques et très différenciées puisse s’accompagner d’une expérience client indifférenciée ? Il n’est pas surprenant d’y trouver peu d’offres. Nous en avons néanmoins positionné deux : l’impression d’une figurine à son image proposée par Photofigurine et le service Impression 3D par La Poste qui permet d’imprimer tout objet décrit dans un fichier d’impression. Dans les deux cas, l’expérience client n’est pas au cœur de la promesse. Ce qui peut sembler normal pour un acteur comme Photofigurine qui s’apparente aux fabricants d’objets promotionnels, mais qui l’est moins de la part d’un acteur de service comme La Poste. Toutefois, cette technologie en est à ses balbutiements. Les usages restent à inventer et la promesse à affiner pour aller vers une expérience client plus porteuse de sens. C’est pourquoi nous avons surnommé cette zone « Opportunités Technologiques ».

 

LA PERSONNALISATION « AS A SERVICE »

En bas à droite de la matrice se trouvent des offres construites sur des produits standards et encapsulés dans une expérience client qui se veut très personnalisée. Ce sont des offres « as a service » qui transforment un produit en un service en jouant sur son mode de consommation. Le degré de personnalisation peut aller très loin. L’exemple de Michelin est éloquent.

« Plutôt que de vendre des pneus pour équiper les camions de ses clients, le manufacturier vend un service personnalisé de maintien en conditions opérationnelles optimales des pneus »

Ce service inclut les pneus et leur entretien, la gestion de leur pression, leur réparation et leur remplacement chez le client, voire en itinérance. Le cas BMWi, le département véhicules électriques du constructeur bavarois est également intéressant. Plutôt que de vendre une i3, un véhicule électrique à vocation urbaine avec les inconvénients que ces derniers peuvent avoir notamment en termes de flexibilité d’emploi (les trajets longue distance posent problème du fait de l’autonomie et des temps de recharge), BMW propose à ses clients un service de mise à disposition d’un ensemble de véhicules adaptés à des usages spécifiques : longs trajets, grande contenance etc. Cette offre destinée à l’origine au marché BtoC est également proposée aux professionnels. Ces deux services proposés par des industriels de l’automobile cohabitent dans cette zone de la matrice avec l’opérateur Netflix qui propose une expérience unique de consommation de contenus vidéos à ses clients. Au-delà de la flexibilité apportée par le service de video-on-demand, Netflix analyse en permanence les comportements des 30 millions de visionnages quotidiens de ses abonnés pour leur proposer des contenus susceptibles de les intéresser, parmi les œuvres d’un catalogue existant, voire conçus pour plaire au plus grand nombre, comme la série House of Cards. La pertinence de ces parcours conseillés ont fait le succès mondial de ce service : 89% de parts de marché aux US, plus de 80 millions d’abonnés payants dans le monde. Enfin, on trouve également dans cette zone de la matrice des offres qui fondent toute leur valeur sur l’expérience client, à l’image de C Wonder, fabricant de vêtements en prêt-à-porter, qui propose à ses clients des cabines d’essayage configurables selon leurs désirs : lumière, température, parfum et musique d’ambiance.

« Dans les domaines où l’intégralité des interactions entre le client et l’offreur ne sont pas digitales, les stratégies de captation et d’exploitation des informations clients s’orientent vers la segmentation, l’échantillonnage et le test. »

C’est ce que fait la chaîne de supermarchés Tesco quand elle lance sa Clubcard, se concentrant sur l’analyse poussée d’un échantillon de 10% de ses clients pour extrapoler une vision aux clients, précise à 95%.

 

L’HYPER PERSONNALISATION DU SUR MESURE

Enfin, la zone en haut à droite contient les offres que l’on pourrait qualifier de sur-mesure, trouvant leur paroxysme dans les offres hyper personnalisées : le produit et l’expérience client sont spécifiques. Dans cette partie de la matrice cohabitent plusieurs typologies d’offres, de la plus exclusive en termes de cible à la plus large. On y trouve en premier lieu l’aboutissement des configurateurs automobiles, destinés à une clientèle très aisée avec Ferrari Taylor Made ou BMW Individual. Ces constructeurs proposent au client de travailler avec leurs ingénieurs et artisans à la conception de leur propre voiture. Le parcours client devient alors aussi exclusif que le véhicule avec des visites fréquentes à l’usine, la création d’un livre unique retraçant les étapes du processus et une livraison scénarisée. Un autre exemple est le Converse Store offrant une expérience client totalement spécifique qui débute, en ligne, lors de la préparation de la visite en magasin. Le client choisit une musique d’ambiance pour accompagner sa visite du point de vente. Sur place, attendu par le personnel, le client peut personnaliser la chaussure.

“Le magasin est équipé d’une machine qui permet de réaliser, dans la demi-heure, la paire de chaussure avec laquelle le client repart“

On trouve également dans cette case l’offre McDonald Create Your Taste qui propose un parcours permettant au client de définir lui-même la composition de son hamburger, et de le déguster dans un restaurant offrant un cadre particulier. L’exemple de The New Normal fait écho à Photofigurine mais propose un parcours très personnalisé au client. La promesse de ce fabricant d’écouteurs intra-auriculaires haut de gamme est de les adapter par l’impression 3D des embouts anatomiques, spécifiques pour chaque client, sur la base de photos de son oreille. Les données anatomiques du client sont conservées pour permettre la réimpression d’embouts s’il est nécessaire de les remplacer, ou tout simplement pour un changement de modèle. Autre exemple, Les Nouveaux Ateliers proposent au client de lui fabriquer des costumes et des chemises sur-mesure, au prix du prêt-à-porter. Comme chez tout tailleur, le client commence par choisir ses tissus et ses boutons, en boutique. Ensuite, les prises de mesures sont réalisées grâce à un scan 3D du corps du client dans une cabine spéciale. Des machines numériques découpent ensuite les éléments de tissus aux dimensions exactes du client. L’assemblage est finalement réalisé, classiquement, par des couturiers. Là encore, le fabricant conserve les données anatomiques du client. Ce dernier peut commander en ligne de nouvelles chemises ou de nouveaux costumes sur-mesure, s’il n’a pas abusé entre temps de McDonald Create Your Taste. Un dernier exemple d’offre sur mesure est le TechShop de Leroy Merlin. Le distributeur spécialisé met à disposition de ses clients, dans un lieu dédié, un ensemble de 150 machines pour qu’ils réalisent leurs propres produits, avec les conseils de spécialistes. Le produit final est naturellement spécifique et le parcours client unique. En revanche, la contribution du distributeur reste marginale en dehors de la mise à disposition payante de moyens techniques.

 

DES MODELS ECONOMIQUES ASSOCIES LIMITES ?

En se livrant à l’exercice de positionnement de ces exemples d’offres personnalisées sur la matrice, il apparaît que quasiment aucun produit industriel ne dépasse le niveau « modifié ». Ceux qui s’en approchent le plus sont des produits de luxe, et même en réalité la partie artisanale d’un produit industriel: finitions, sellerie, inserts ou décoration. Cela pose la question du facteur prix. Un industriel cherche à minimiser le coût marginal de production de ses produits ou services. Le levier principal de cette optimisation est la réalisation de grandes séries pour amortir les coûts de conception, d’outillage, de calage et bénéficier d’économies d’échelle. Le prix est-il le seul frein à la personnalisation de produits industriels ? Trois exceptions notables nous amènent à nous interroger sur les raisons de ce que nous avons appelé le plafond de verre des industriels : les costumes sur-mesure par les Nouveaux Ateliers, les écouteurs ergonomiques (The New Normal) et les figurines en 3D. Dans ces trois cas, c’est l’outil de production flexible (machines de découpe numérique et imprimantes 3D) qui a permis de proposer un produit industriel personnalisé, pour un coût maîtrisé.