Le Bengs Lab a réuni des Secrétaires Généraux de sociétés du SBF120 pour imaginer de nouvelles formes de contribution des holdings aux dynamiques d’innovation. Pour stimuler la créativité et identifier des premières intuitions le Bengs Lab a inventé un jeu de plateau.
Sortir du cadre pour innover
« La véritable innovation émane d’un système de pensée perpendiculaire » Peter Diamandis, fondateur de la Fondation X Prize
Qu’il s’agisse d’une innovation incrémentale ou disruptive, toute démarche d’innovation s’appuie sur des intuitions, permettant d’exploiter des chemins de traverse plus ou moins éloignés du quotidien. Les Directions Générales ont bien compris que ce n’est pas en conservant le référentiel de pensées qui a amené à constater un problème qu’ils parviendront à lui trouver des solutions efficaces.
Les voies pour sortir du cadre et adopter une pensée « perpendiculaire » ont ainsi conquis tous les secteurs d’activités, aussi vite qu’est prégnante la crainte d’être ubérisé : learning expedition, atelier orienté utilisateurs, immersion avec des start-ups …
Pour accélérer les innovations, le Bengs Lab a expérimenté un moteur à intuitions, le Gamestorming.
Le jeu pour dépasser les méthodes classiques de brainstorming
Issu du monde publicitaire, le brainstorming est entré dans la vie courante. Lorsqu’Alex Osborn le popularise dans Your Creative Power, How to Use Imagination to brighten life, to get ahead (1948) il l’a déjà expérimenté dans son agence BDO (qui deviendra BBDO) pour résoudre des problèmes – il créera plus tard le Creative Problem Solving avec Sid Parnes. Alex Osborn pose des principes simples et au nombre limité pour le brainstorming, permettant d’assurer son adoption au-delà des cercles des créatifs des agences de publicité : associer les idées les unes aux autres, suspendre le jugement, laisser exprimer pendant un temps sa folie.
Un brainstorming c’est trois temps.
Premier temps, l’ouverture, durant lequel le cadre et une question sont posés pour guider les participants dans le second temps, celui de l’exploration. Individuellement puis collectivement les participants lancent leurs idées qui seront enrichies, regroupées, précisées… jusqu’au troisième temps de fermeture, celui de la rationalisation pour trouver la ou les solutions. Tout l’enjeu d’une telle démarche est de parvenir à créer les conditions pour se soustraire des réflexes cognitifs du quotidien et d’oublier les contingences opérationnelles.
La première limite de l’exercice réside justement dans la capacité du groupe à sortir du cadre. Avec le temps, l’utilisation des post-its est entrée dans les pratiques autant que l’appel au brainstorming – parfois galvaudé. En imposant l’expression écrite des idées, cette version du brainstorming (le brain post it) freine la créativité : plutôt que de laisser voguer son imagination au fil des échanges, chaque participant la bride lorsqu’il transpose ses idées par écrit. Le brainstorming dans son format initial prévoyait un secrétaire de séance chargé de retranscrire les idées émises par les participants.
Seconde limite du brainstorming, les premiers post-its partagés vont guider les réflexions du groupe en induisant des biais cognitifs : les participants vont appréhender les idées de leurs pairs en fonction de ce qu’ils ont précédemment proposé ou des idées qui les ont marqués – pour ne prendre qu’un exemple : celles émises par leur chef.
Enfin, le troisième temps de sélection et regroupement des idées est souvent prématuré : des idées sont sacrifiées. Les participants ne leur laissent pas leur chance, préférant converger vite vers une solution qui semble évidente pour le groupe.
Conçu pour favoriser l’émergence des idées les plus folles et pour cultiver l’imagination de chacun, la pratique du brainstorming ne permet que très peu souvent l’expression d’idées au départ jugées saugrenues… mais qui gagneraient pourtant à être pleinement exploitées si l’on veut passer de 0 à 1.
C’est en partant de ce constat et aussi pour créer une expérience collective que Bengs s’est affranchi des démarches classiques de brainstorming pour concevoir et développer SuperHero2020. L’enjeu était d’identifier de nouveaux leviers d’intervention, au-delà des retours d’expériences et réflexes de chacun, permettant aux holdings de soutenir des dynamiques d’innovation. Pour poser le cadre, un pitch a été énoncé aux participants dès leur arrivée : « le Monde a changé, les guerres bipolaires ont laissé la place à des conflits complexes et multi-fronts. Les SuperHeros sont une nécessité et les BUs de votre entreprise œuvrent pour innover et inventer l’équipement du SuperHero de demain. » Le cadre était posé !
La finalité de SuperHero 2020 est de lancer des innovations en avançant individuellement et en équipe sur un plateau de jeu. L’utilisation de ressources est clé dans l’avancement, et leur rareté est définie par des principes de gouvernance évolutifs en fonction des temps de jeu.
Trois leviers du gamestorming
Outil du Design Thinking, le gamestorming permet de créer un environnement propice à la créativité. Alors que le brainstorming favorise surtout la superposition d’idées (principe 1 d’Osborn), le gamestorming sécurise la suspension du jugement et l’expression des idées les plus folles (principes 2 et 3).
Trois leviers sont mis en œuvre avec le jeu.
1er levier : favoriser les interactions
Le jeu nécessite compétition et souvent collaboration. L’avancement requiert la compréhension des tactiques de ses partenaires et adversaires. Même solitaire, le joueur d’échec interagit avec son adversaire, cherche à lire dans son jeu. Le joueur met aussi à contribution ses meilleurs talents lorsqu’il s’agit de négocier et convaincre. En offrant un terrain d’expression aux stratégies de négociations, le jeu est propice à l’identification de solutions de contournement.
2nd levier : exploiter le hasard
En introduisant une part d’aléatoire, les participants doivent s’adapter. Les dés décident de la situation auquel le joueur sera confronté, comme au Monopoly lorsqu’alors que vous espériez atterrir sur la gare Saint-Lazare et compléter votre collection de gares vous vous retrouvez finalement au bord de la ruine en tombant sur la rue de la Paix (avec 4 hôtels savamment acquis par votre compagnon de jeu). Le jeu offre aussi un ascenseur émotionnel permettant à chacun de se révéler un peu plus au fil des situations.
3ème levier : essayer, échouer… et relancer les dés
Le jeu, du latin jocus, fait référence à la plaisanterie, au badinage donc à ce qui ne prête pas aux conséquences. On peut tester, faire comme pour de vrai, les impacts restent au niveau du jeu. Qui tenterait les stratégies immobilières mises en œuvre au Monopoly dans la vraie vie ?
Enfin, chacun joue un rôle, celui du banquier, du colonel Moutarde, et perd son statut hiérarchique le temps du jeu (le contraire serait tricher !).
Il n’y a rien de plus sérieux que le jeu
Outil de créativité, le jeu permet de favoriser l’expression de chacun, de sortir du cadre et, en créant des situations, de prendre le temps de faire émerger des idées avant de les éprouver.
En fin de session du Bengs Lab, de nouveaux principes de gouvernance de l’innovation ont été identifiés, partagés, testés. Les plus évidents ont été challengés, et les vertus pédagogiques du jeu ont permis d’accélérer leur appropriation par chacun.
Au départ jugée farfelue (« on ne va pas jouer au travail, soyons sérieux ! »), voire impossible car incompatible avec les procédures, l’idée de jouer pour collaborer et créer devient une évidence. Et c’est très sérieux ! comme le rappelle cette citation de Nietzsche « La maturité de l’homme, c’est d’avoir retrouvé le sérieux qu’on avait au jeu quand on était enfant. »
Cédric Legros